Entreprises apprenantes

Pour en savoir plus sur :
Les livres
André Giordan, Comme un poisson rouge dans l'homme, Payot, 1996
Les articles
Organiser les entreprises à la lumière de la complexité
De la bionique à la physionique
Repenser les organisations
Formations professionnelles et entreprises apprenantes
Penser alternatif
Conférences, Séminaires

 

 

 

 

 

 

 

 

Repenser les organisations

André Giordan
 

"Notre époque manque de pensée" entend-t-on dire parfois quand l’on aborde les questions d'organisations politique ou sociale. Il est vrai que toutes nos grandes institutions, l'école, l'armée, la police, la santé, la justice sont en décalage complet. Les entreprises ne sont pas mieux loties ; le contexte dans lequel elles luttent pour survivre et prospérer s’est beaucoup modifié. Le rythme des conversions n’est pas prêt de décroître, la hiérarchie apparaît décalée et trop rigide, la prise en compte de l’environnement trop limité. Quant aux politiques, ils ont de grandes difficultés à accompagner les changements dus à l'évolution technologique et sociale. Face aux transformations rendues nécessaire par l'évolution rapide de la société, ils apparaissent complètement sourds, muets et impuissants...
En fait, tous nous manquons d'idées neuves pour affronter les enjeux actuels. Nous vivons plus une crise de sens qu'une crise économique. Nous continuons à pratiquer un mode de pensée qui avait fait ses preuves quand il s'agissait de gérer des situations simples et régulières dans un monde qui évoluait peu. Actuellement, nos cadres de références, nos façons de raisonner n'apparaissent plus adaptés, voire obsolètes. Nous restons prisonnier d’habitudes, d’évidences et de tabous dépassés. Nous faisons fonctionner toujours les mêmes paradigmes ; ceux qui ont été forgés à la Renaissance et enrichis au siècle des Lumières grâce à l’apport de la mécanique newtonienne.
Or l’honnête homme du XVIII ème siècle vivait dans un contexte stable et limité. Actuellement tout est en changement permanent. Dans les seuls cinq ans à venir, nous devrons affronter la mise en place des machines à communiquer, des multimédias, des autoroutes de l'information, de la domotique et de bien d'autres choses encore...
Dans le même temps, l’individu n’est plus isolé dans son village, il vit à l’échelle d’un continent, et même de la planète. Le fonctionnement des macro-systèmes humains que sont une grande ville, une nation moderne, une entreprise multinationale ou une institution intergouvernementale est devenu hypercomplexe. On ne peut plus isoler l'économique, l'éthique, le social, le droit, l’institutionnel et l'international...  Autant de savoirs dont le commun des mortels n’a reçu aucune formation. Quant à les envisager en synergie !.. De plus, les décideurs, mais également les citoyens, doivent prendre en permanence des décisions sur des situations dont ils ne maîtrisent pas toutes les données ou dans lesquelles certains éléments restent fluctuants. Dans le même temps ils doivent affronter de l'aléatoire, du contradictoire, du paradoxal. En matière d'habitation par exemple, il nous faut concilier le droit à la propriété avec le droit au logement, deux valeurs contradictoires inscrites dans la Constitution. En matière d’économie familiale, le choix d’un simple appareil électroménager met en opposition la recherche du meilleur prix avec l’emploi (et plus particulièrement l’emploi local ou national), les effets de mode, le produit national brut, les retombées sur le tiers-Monde, les influences sur la biosphère, etc..

Dépasser le sentiment d’impuissance

Partant de ces constats, comment repenser nos organisations pour la société à venir ? Comment dépasser ce sentiment d'impuissance qui fait que personne n'ose plus rien proposer ? Et cela d'autant plus que les Sciences Humaines pour l'ensemble ont démissionné de ce projet. La sociologie, la philosophie, l'économie ne sont plus à la hauteur des grands enjeux de société. Il y a deux décennies, on attendait de ces disciplines qu'elles nous aident à comprendre la société et à produire du nouveau. Aujourd'hui, sauf quelques rares exceptions, les Sciences Humaines ont perdu de leur vitalité. Elles fonctionnent en interne ; elles sont devenues autoréférentielles pour l'essentiel. Leurs modèles explicatifs sont principalement normatifs, ils ne répondent plus aux exigences de notre époque ou aux attentes de la population. Ces approches posent des questions pointues de spécialistes, pour des spécialistes, à des fins institutionnelles, au travers de paradigmes qui n’évoluent plus ou si peu.
Bien sûr, l'invention en matière de société n'est jamais ni évidente, ni immédiate. L'innovation ne peut se régler en terme d’"il y a qu'à". Une organisation sociale est une émergence d'ordre n constituée d’éléments déjà complexes en eux-mêmes. Elle intègre un système de paramètres en interaction. Tout changement nécessite un processus ; le tout devant être coordonné dans le temps et à plusieurs niveaux.
En attendant qu'une nouvelle approche spécifique ne soit disponible, pourquoi ne pas tenter déjà de comprendre comment fonctionnent les émergences un peu moins complexes, à savoir les organisations du Vivant. Le Vivant a une très grande expérience en matière d'organisation . Il en a produit des centaines de milliards, toutes présentent des niveaux de complexité multiples. L'analyse de son expérience est très précieuse et plutôt décapante. Cette démarche que nous développons depuis 1987 sous le vocable de physionique ne fournit pas de solutions toutes prêtes, toutefois elle a le mérite nous faire sortir de nos évidences et de nos sentiers battus. Elle devient une source importante d'inspiration pour la maîtrise des organisations complexes comme une entreprise ou une institution. D’ailleurs, elle obtient un accueil très favorable ; les milieux économiques, manageriaux et décisionnels innovants s’y intéressent tout particulièrement.
Attention, ne vous méprenez cependant pas sur cette proposition, il n’est pas question de défendre quelques prétentions issues de la sociobiologie, chère à Edward Wilson et au Club de l’Horloge, bien au contraire. Aucune homologie n’existe entre le social et le biologique. Les comportements sociaux ne s’expliquent jamais par des déterministes biologiques. Même, si elles comportent une composante biologique indéniable, les sociétés humaines ne reposent jamais sur des déterminismes de ce type. Elles émargent à un niveau d’interactions supérieur où rien n’est similaire. De nouveaux principes, champs de forces, lois et organigrammes ont émergé avec la mise en place des sociétés, et leurs histoires les ont faites bifurquer. 
Pour la physionique, le Vivant est seulement un “précurseur” de l’organisé. Certes, il a mis du temps pour prospérer. Mais ses structures, ses processus sont très performants sur le plan de l’organisation. Certains vont jusqu’à produire des émergences du même ordre que celle qu’on trouve dans la Culture avec l’apparition du sens. Sa réussite dans des environnements très difficiles est un bel exemple à méditer,... du moins à modéliser.
En effet, la démarche proposée est à la fois analogique et modélisante. Elle tente de prospecter en quoi “le tout devient beaucoup plus que la somme” de ses parties. L’hypothèse en action est similaire à celle qui préside à nombre de domaines scientifiques. Devant une complexité, on l’étudie en travaillant sur un modèle censé plus simple. Dans nos premiers travaux, la régulation du poisson rouge fut un des modèles pour comprendre le fonctionnement du rein (notamment l’influence de la vasopressine), les globules rouges ou la branchie de truite devint un modèle pour élucider les flux d’ions à travers les membranes. Aujourd’hui, certaines souches de souris ou de macaques sont des modèles pour affiner les défenses immunitaires liées au SIDA ou à d’autres maladies. Avec la physionique, un écosystème, un individu, un système intra-individu, un organe, une cellule ou un organite devient un modèle scientifique pour de questions d’organisation .

Les apports de la physionique

Qu’apporte la physionique en matière d’organisation ? Contrairement à une idée répandu, tout système quelque soit son niveau a tendance à s'organiser spontanément. L'autoorganisation est un processus inhérent à la matière qu'elle soit inerte ou vivante. Cependant un système ne parvient à un niveau d’organisation plus élaboré que si certaines conditions très strictes sont remplies. Sur ce plan, la démarche physionique est pertinente ; elle permet de dessiner un réseau de paramètres indispensables pour structurer ou optimiser une organisation .
La première condition pour qu’un ensemble puisse s’organiser est que les éléments qui le composent  aient la possibilité d'interagir ; d'où l'importance des échanges multiples d'informations entre éléments, des lieux ou des réseaux d’interactions, ou encore des catalyseurs capable de les favoriser . D’autant plus que tous ont besoin d'être réactivés constamment. Par ailleurs, ces interactions sont facilitées si chaque élément possède un grand nombre de possibles (tous d’ailleurs n’étant pas utilisés en permanence mais en fonction des besoins de l’organisation) et s’il y trouve un sens (ou un avantage).
Ensuite, il faut signaler l’importance et la multiplicité des mécanismes de régulation dans toute organisation performante. Ces diverses régulations sont d’ailleurs ce qui caractérise le mieux une organisation vivante. L’adaptation homéostatique se déroule en permanence et en temps réel. Leur pertinence augmente à mesure que le système se complexifie, avec des régulations de proximité ou  à plusieurs niveaux, à effets positif ou négatif. Dans les organisations très élaborées émergent des régulations avec des messages différenciés (électrique, chimique), des récepteurs spécialisés, des réseaux d’autocontrôle régulés à leur tour et des mémorisations (court et long terme). Cette mise en mémoire peut tenir lieu de facteur limitant ou facilitant, elle interfère fortement avec les contingences ou l’environnement.
Enfin, d’autres paramètres plus paradoxaux apparaissent également porteurs. Dans une organisation vivante, on observe simultanément une stratégie de redondances en information, une subsidiarité des décisions, une gestion sur un mode contradictoire, une pertinence des antagonismes régulés, une prépondérance de l’hétérogène, une multiplicité des registres de fonctionnement, une mémorisation de l’histoire de l’organisation , un pilotage en temps réel et un soutien “hiérarchique”, etc... Tous ces aspects nous interpellent fortement ; ils nous conduisent à revoir nos cadres de références et nos modèles de pensée habituels. Le succès des organisations vivantes apparaît moins lié à une planification rigoureuse ou à l’emploi d’outils sophistiqués qu’à une flexibilité de réactions, à l’autonomie de ses parties, à une gestion des opportunités et à la qualité de ses systèmes d’informations et de régulations. Sans entrer dans le détail, précisons à la suite quelques aspects surprenants.

Dans une organisation de type vivant, chacune des innombrables cellules (de base) est totalement autonome. Elle fabrique sa propre énergie et pratiquement tous les constituants indispensables à son  propre rythme et à partir de son économie individuelle. Toutes ses activités se réalisent sur un mode hétérogène ; chaque cellule possède dans son noyau toute la mémoire génétique de l’individu. Pourtant, l’organisme n’est jamais réductible à une juxtaposition de cellules. Tout y est profondément coordonné ; l’intégration est si bien faite que l’individu apparaît comme un tout.
Pour cela, chaque élément résout les contradictions à son niveau. Il fait au mieux par lui-même à partir des éléments à sa disposition . Cependant, chaque partie n’est jamais embusquée dans son propre territoire ; ces dernières n’utilisent par exemple qu’une infime partie de leurs potentialités génétiques.
L’organisme reste cohérent parce que chaque partie est concernée par le devenir de l’ensemble. Toutes les cellules sans exception confrontent leurs activités, éventuellement se suppléent quand l’organisme est en difficulté ou quand les conditions l’exigent.
Tout communique ainsi avec tout , mais pas n’importe comment. Le réseau d’informations du vivant est toujours multiple. Le système le plus usité est un système de type postal, le système hormonal. Des molécules porteuses d’informations se déplacent, ce sont des sortes de “cartes postales” à trois dimensions. Un inconvénient bien sûr, cette communication est peu précise et plutôt lente. Un deuxième système, de type télégraphique cette fois, le système nerveux, y supplée. Des cellules spécialisées, livrent directement et rapidement le message à la cellule près, celle sélectionnée pour son efficacité dans l’action à mener.
Chaque réseau de communication a des avantages et des limites. Le vivant ne cherche pas à les mettre stérilement en opposition pour perfectionner un système idéal. Il valorise les possibilités de chaque méthode et  jongle entre les deux. Il envoie par exemple un message nerveux relayé au niveau local par un messager chimique. L’information est rapide, elle cible une zone spécifique, un tissus par exemple. Ensuite la diffusion est large. Autre possible, face à un danger immédiat l’organisme réagit brutalement par un message nerveux, puis il entretient la réponse sur la durée par des messages hormonaux. Etc.. D’autant plus que l’organisme ne craint pas les redondances. Il n’a pas peur de se répéter, on rencontre des doublons, voire même des triplons, tant au niveau de la transmission qu’à celui de la détection.
Autre caractéristique essentielle, cette communication n’est pas seulement hiérarchique, elle est avant tout ascendante. Toutefois en priorité, elle est transversale, elle se pratique inter-tissus ou inter-organes sans passer par le “voie hiérarchique”. Cette libre circulation de l’information qui a une très grande place en période de fonctionnement normal, devient stratégique en période de croissance ou de développement.
En fait, une organisation vivante ne se conforme jamais au principe de “commande rigide”. Pour maintenir son équilibre, l’organisme n’a pas de solution préalable toute faite. Il n’a même pas de solution du tout. Il possède seulement un registre de fonctionnement pour faire face au mieux aux multiples problèmes dus aux modifications permanentes de l’environnement et aux conséquences induites par l’évolution d’un paramètre sur les autres. Son seul critère de sélection : s’attaquer en premier aux plus pernicieux, ceux qui dégradent irrémédiablement son économie générale.
En somme, le vivant pratique, ce qu’on nomme parfois par dérision, le “pilotage à vue”. Toutefois, il atteint un sommet de l’art ; l’organisme a mis au point des structures et des règles du jeu “intelligentes”. Elles garantissent à la fois sa flexibilité, sa rapidité de réaction et d’adaptation, aux changements de l’environnement. Pour que le système opère correctement, il reste en éveil en permanence et une coordination s’établit entre les parties et les sous-parties. Ce qui n’exclut pas les conflits d’intérêts , toutefois ceux-ci sont pris en compte et gérés par les systèmes de régulations. A leur tour, ceux-ci étant régulés par d’autres réseaux. Et pour parfaire le tout, il garde en mémoire, une trace de ses expériences passées et les réinjecte en priorité dans ses choix. L’organisation vivante apprend, elle transforme continuellement ses processus pour atteindre ses objectifs .
Une telle concertation interne ne fait cependant pas obstacle aux informations extérieures. Un organisme vivant reste perpétuellement ouvert sur l’extérieur. Les principales régulations sont d’ailleurs dictées par l’environnement. Par expérience, le vivant a “enregistré” qu’il n’a pas de prise sur lui, ou si peu. Or cet extérieur déjà hostile en lui-même, est en constante transformation : variations de température, de pH, de concentration, de composition de l’air et d’humidité, modification de nourriture, agressions diverses, etc..
Pour cette écoute entretenue, d’innombrables organes dits “des sens” ont été spécialisés. Leur mission est de rechercher en continu tout indicateur susceptible d’éclairer l’organisme. Toutes les modifications extérieures, du moins celles qui peuvent avoir des conséquences néfastes sont repérées en priorité. Pas question de crouler sous les données, ces informations sont filtrées, traitées et regroupées. Elles sont ensuite croisées, comparées à des informations mémorisées.
Aucune décision n’est imposée du haut. Certes, on peut “hiérarchiser” des zones de coordination, avec au sommet celles du cerveau, et en son sein le cortex pour les vertébrés supérieurs. Mais ces structures n’ont pas pouvoir de décision en soi. Ces centres sont sous la dépendance en continu des autres organes et de l’environnement. Leurs choix ne sont jamais a priori, ils sont sous contrôle des informations qui remontent et des possibles mémorisés. Le maillage et l’intégration des données apparaissent au centre du dispositif .
Dans les organisations vivantes, la hiérarchie, point faible de toute organisation, est ainsi reformulée. D’abord il en existe fort peu, tout au plus peut-on observer trois niveaux de coordination. Ensuite ses fonctions sont autres ; la direction apparaît surtout comme un lieu de consensus et d’intégration . Sa principale préoccupation est la gestion des conflits et des contradictions, à commencer par ceux qui pourraient rompre le délicat optimum de fonctionnement de l’organisation. Le reste du temps, tout est réglé au plus près du problème, sans aucune intervention des centres dit “supérieurs”.
Par ailleurs, ces centres ont pour tâche essentielle de concerner, mieux ils anticipent en tenant compte de l’histoire de l’organisation et de ses interactions préalables à l’environnement. Dès qu’un choix est décidé, ils font partager à l’ensemble des composants le parti pris choisis, grâce aux multiples systèmes d’information...


Une civilisation à modèle d'équilibre

Nous passons d'une civilisation avec un ordre préétabli à une civilisation à modèle d'équilibre car rien ne peut plus être prévu avec certitude. Sur ce plan encore, les organisations vivantes peuvent nous montrer la voie. En leur sein, rien n’est prévisible, tout peut arriver. Seul est mémorisé un optimum de fonctionnement. Et encore cette marge est-elle différente pour chaque espèce, chaque organisme, et chacun de ces composants. Chaque partie a sa spécificité, ses intérêts propres ; rien n’est homogène. Le vivant gère l’antagoniste et l’imprévu ; il ne fait même que cela : il tolère le désordre. Chacune des molécules qui passent à travers une membrane n’est jamais contrôlée directement. Comment le pourrait-il ? Elles peuvent la traverser comme bon leur semble, plusieurs fois et en tous sens. Ce qui importe, c’est que globalement des optimums propres au développement de l’organisation soient conservés.
Le vivant régule même le désordre. Les êtres vivants profitent du désordre tant redouté dans les sociétés pour évoluer. L’évolution biologique repose sur une gestion savante du chaos. Du désordre pour enrichir l’ordre. Comment “l’individualisme” de chaque cellule, de chaque organe, de chaque individu concourt-il à la chose commune ? Nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Notre société devrait y consacrer un peu d’énergie et sans doute quelques ressources...

Pour en savoir plus :
André Giordan, Comme un poisson rouge dans l’homme, Payot éditeur, 1995

Un corps humain ne possède pas moins de soixante mille milliards d’unités de base, les cellules. Chaque cellule est  également un système hypercomplexe qui présente des raffinements inouïs. Une cellule intestinale peut comporter jusqu’à 30000 villosités pour faciliter l’absorption des nutriments. Une cellule nerveuse peut développer 10000 prolongements pour communiquer avec un nombre équivalents de cellules. Une simple cellule d’un centième de millimètre peut contenir des centaines de mitochondries (1000 à 2000 dans les cellules hépatiques), lieux d’intenses activités énergétiques ou encore des dizaines de milliers de ribosomes qui synthétisent des milliers de protéines différentes. Des procédés très stricts sont nécessaires, des centaines de milliers de réactions chimiques très conflictuelles s’y déroulent à la seconde dans des milliers d’organites. Des millions d’informations sont décodées simultanément sur les membranes par des récepteurs, d’autres en quantité similaire circulent en son sein grâce à des cohortes de  messagers ou sont stockées dans son noyau. Malgré des intérêts extrêmement divergents, toutes ses cellules et tous les organites, sans exception et sans discontinuité, interagissent “positivement” les uns sur les autres...

Cette démarche prolonge la bionique. Au point de départ, non plus la morphologie ou l’anatomie comparée mais une autre branche de la biologie, la physiologie, et plus précisément la physiologie des régulations.

Par chance, le Vivant a mémorisé cette somme d’expériences réussies. Il peut nous offrir une véritable banque de données sur l’organisation. Trois milliards d’années d’essais et d’erreurs pour tenter de survivre dans un milieu peu propice, un vrai corpus soumis continuellement au crible de l’optimisation à long terme. Pourquoi ne pas l’intégrer à notre culture ?

L'interaction entre politiques, décideurs et scientifiques peut ouvrir un champ de réflexion et d'action immense, même si le transfert d'idées d'un domaine à l'autre doit se faire avec beaucoup de précaution.

De nouvelles structures sociales sont testées sur ces modèles (voir chapitre 12, André Giordan, Comme un poisson rouge dans l’homme, Payot éditeur, 1995)

La moindre modification ionique entraîne tout à la fois des modifications du volume, du pH, du gradient électromagnétique, de la vitesse de réaction des protéines, etc., autant d’éléments provoquant à leur tour des événements particuliers.

La plus petite cellule musculaire située dans la deuxième articulation de l’un des orteils droits reçoit et émet des informations vers l’ensemble du corps.

Les antagonismes, les concurrences entre les organes ou les cellules pour la distribution des nutriments ou de l’oxygène sont “féroces”. Certains antagonismes sont mêmes porteurs parce que régulés. La position debout, tous les mouvements, la voix, le maintien d’une température constante, etc., ne sont possibles que par eux.

L’étude du vivant nous fournit ici des inventions sur les capacités à communiquer, l’art de l’enchaînement rapide des diverses phases de régulation, l’évaluation immédiate des situations avec remédiation (perméabilité des fonctions et rigueur des procédures). Par là il nous renseigne sur l’attitude pragmatique face à l’inattendu, rendant aisé si nécessaire le court-circuit de certaines procédures. Dès qu’un problème est pressenti, un ou plusieurs dispositifs d’alerte et plusieurs mécanismes de réactions sont mis en branle. Le stratégique et l’opérationnel ne peuvent être disjoints, ils sont répartis entre le cortex, l’hypothalamus et le diencéphale dans le cerveau. Les décisions principales sont prises en concertation étroite. Rien n’est figé d’avance.“Agir vite et s’instruire dans l’action”, tel pourrait être la devise du couple hypothalamus-diencéphale, qui fonctionne toujours en tandem...

Cette organisation originale conjugue tout à la fois une importante capacité à communiquer, un art de l’enchaînement rapide des diverses régulations, une évaluation immédiate de la situation avec remédiation, une réelle perméabilité des fonctions et une très grande rigueur des procédures. Leur mise à plat fournit de nombreuses idées pour le management d’entreprise (voir chapitre 11, André Giordan, Comme un poisson rouge dans l’homme, Payot éditeur, 1995).

En fait en déséquilibres constamment rectifiés.