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Quels savoirs fondamentaux pour l’école 20/20 ?
André Giordan
Les politiques –et avec eux les parents- mettent en avant comme savoirs fondamentaux : « apprendre à lire, à écrire et à compter »... Il reste évident qu’apprendre à lire et à écrire reste incontournable. C’est une ouverture sur le monde, sur la culture… Au delà du simple slogan, il importe dans le contexte actuel de s’interroger sur leur sens et leur faisabilité.
Par exemple, pourquoi attendre les débuts de l’école primaire, c’est-à-dire l’âge de 6 ans pour apprendre à lire. Cela avait de la pertinence quand l'école, seul lieu d'apprentissage, débutait à cet âge. Aujourd'hui, l'enfant est sur-stimulé en permanence par les mots dès 2-3 ans à travers les jeux éducatifs, la publicité, la télévision ou même Internet et maintenant les smartphones. Très jeune, il ressent le désir de déchiffrer ces messages pour accéder par lui-même aux informations. Pourquoi ne pas leur permettre dès cet âge ?..
Pour ce faire, il faut dénoncer les discours sur son apprentissage : il faudrait « une » méthode. Celle-ci ne «marche» généralement que pour celui qui l’a créée ! Difficile de faire entrer tous les enfants dans une seule et même approche. Ensuite, les livres dits « de lecture » ne sont pas toujours attrayants. Nombre d’élèves renoncent par manque d’intérêt pour leurs textes. En jouant avec les mots qui l’entourent, le très jeune apprend à lire par lui-même comme il a appris à marcher. Les parents ou l’école enfantine ont juste à le solliciter, l’interpeller et à l’accompagner.
Par ailleurs, savoir lire ce n'est plus seulement savoir déchiffrer un texte, c'est en premier comprendre et partager un message. C'est encore être capable de traiter de multiples informations. Au quotidien, les élèves sont entourés de données multiples à décoder ; en permanence, il leur est utile, faute de se perdre, de trier les informations. Avec les bases de données, les réseaux et les moteurs de recherche, il s'agit encore d'apprendre à lire en lecture rapide et en hypertexte. Pourquoi l'école n'en proposerait-elle pas quelques initiations ?
De plus, apprendre à lire, c'est également apprendre à lire les images, fixes et animées. Enfin, apprendre à lire, n'est-ce pas encore s'interroger en permanence sur les sources, leur validité et leur pertinence ? D'où viennent-elles ? Très tôt le jeune peut être sensibilisé à la place et aux fonctions des informations. Son esprit critique demande à être aiguisé.
Et les maths…
La prédominance des mathématiques à l’école interroge également. On pare cette discipline de toutes les vertus éducatives au point d’en faire un objet de sélection. Pourtant les programmes et l’enseignement des maths posent problème. Après le fiasco des « mathématiques modernes », l’enseignement des mathématiques a connu plusieurs « nouveaux programmes » successifs. Ils ont présenté différentes suppressions et ajouts qui ont conduit à un éparpillement des savoirs et des procédés. De sorte que, bien que les programmes soient allégés, ils semblent toujours trop lourds pour le temps imparti.
Ce sont des programmes « en gruyère » qui constituent sauf exceptions un véritable dressage. On ne laisse pas le temps à l’enfant de voir concrètement, visuellement les questions en jeu, et à aller doucement vers l’abstraction. En les poussant à apprendre par cœur sans comprendre, c’est le début de la fin de « l’amour pour les maths ». L’élève apprend les rituels de base et les applique docilement en s’aidant de son formulaire. Aucune surprise ne l’attend jamais qui l’oblige à quitter un tant soit peu le chemin bien balisé. Il suffit très souvent d’ajouter un paramètre inutile dans l’énoncé pour que l’élève soit perdu. Tant il est conditionné par l’usage de tous les éléments pour trouver la solution.
C’est là surtout que le bât blesse. On conditionne l’élève le plus souvent à trouver l’unique solution. On prive l’élève des éléments de logique qui lui permettrait d’aborder les questions d’aujourd’hui. En matière d’environnement ou de santé, il n’y a pas de solutions à certaines questions et surtout pas une seule. Il s’agit le plus souvent de trouver un moindre mal ou un optimum, et encore celui-ci dépend du contexte. On insuffle l’idée d’une logique binaire qui conduit à une dichotomie : vrai/faux, bien/mal et à d’une logique linéaire : « A est toujours A», «plus c’est mieux»… Cet enseignement mécanique ne développe pas la rigueur, l’esprit critique et la créativité. Il n’apprend même pas à poser les problèmes ; il se limite seulement à faire résoudre des questions standardisées… Au lieu d’en faire une panacée, voire un tabou, il serait très utile de les relativiser ou de les (re)penser…
En amont des savoirs académiques
En amont des savoirs académiques, un fondamental pour aujourd’hui est apprendre à vivre avec l’autre. Vivre avec l’autre est notre expérience la plus quotidienne, la plus banale en somme. Pourtant, elle n’est pas, et de loin, ni aussi simple ni aussi évidente qu’il n’y paraît à première vue dans un monde individualisé et mondialisé. Jusqu’à présent, elle se construisait largement dans les familles ou les associations en Suisse. L’école à mon sens doit prendre désormais le relai.
Nous le savons tous d’expérience, les liens qui nous unissent peuvent, dans bien des cas également, nous détruire. Les bourreaux des camps de concentration allemands étaient tous des personnes très instruites. Ils leur manquaient les repères éthiques pour vivre avec les autres. Apprendre le civisme, la citoyenneté a toute sa place à l’école dans les fondamentaux.
Se pose par ailleurs la question de quels savoirs un jeune doit disposer pour comprendre le monde, la société, l’autre, se comprendre, participer à la vie citoyenne, ou encore apprendre toute sa vie ? Nombre de savoirs importants pour aujourd’hui ne sont pas à l’école. La connaissance de son propre corps par exemple reste très limitée et trop mécanique, les moyens de préserver sa santé sont rarement abordés. La transition écologique n’est prise en compte que par quelques enseignants militants. Pour vivre en société, des éléments du droit deviennent incontournables. Pour comprendre notre société mondialisée, encore faudrait-il mettre dans les programmes une première approche de l’anthropologie, de l’économie et des finances.
Mais au delà des connaissances, le désir d’apprendre devrait être favorisé par les programmes. Actuellement il se perd au cours de la scolarité. On fait de nos enfants des consommateurs de savoirs qui attendent que le professeur enseigne, alors qu’ils devraient s’approprier les outils pour apprendre par eux-mêmes. L’apprendre à apprendre devient un objectif indispensable dans le cursus scolaire. On souhaite que nos élèves apprennent leurs leçons, mais on ne les conduit pas à réfléchir sur les processus indispensables pour apprendre.
Une conférence de consensus
Il est encore un tabou à clarifier en matière de fondamentaux : le processus pour les définir. Actuellement, les programmes de l’école sont confiés à des commissions de spécialistes autoproclamés. Il n’existe pas de conférence de consensus citoyenne pour en discuter. Il persiste des habitudes, il en résulte des modes où les lobbies disciplinaires sont très présents.
Une conférence de consensus est un dispositif participatif visant à permettre l’expression du point de vue des citoyens en interaction avec des experts sur les enjeux d’une politique, ici scolaire. Tout le monde s’accorde pour souligner la qualité du travail fourni par ces conférences pour maîtriser des sujets complexes et à en saisir tous les enjeux. L’approche des fondamentaux de l’école qui n’est pas une simple affaire d’experts, risque d’être renouvelée.
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