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Comment penser la société
du XXIème siècle ?

André Giordan 

 

Si cela marche pour l’entreprise, pourquoi ne pas appliquer cette démarche physionique à la société dans son ensemble ? La société est également une organisation par excellence, une organisation d’organisations en vérité. En tout cas, elle ne peut plus être regardée comme une somme d’individus disparates. Peut-on développer la régulation dans notre société ? En principe, la démocratie repose sur une large répartition des pouvoirs, et donc des contrôles, entre tous les citoyens. Toute concentration doit être évitée, le pouvoir distribué. Chacun, à commencer par les élus, doit pouvoir rester sous le contrôle des autres, en respect du principe d’autodirection.
En théorie, tout est parfait. La constitution est garant d’un certain nombre de limites. En pratique, nos démocraties sont encore jeunes et cette régulation est largement biaisée. Les citoyens délèguent largement leur pouvoir. Seul un  mécanisme de contrôle très lâche reste à disposition : en fin de mandat : on réélit ou on ne réélit pas. Et encore, le citoyen de base a-t-il toujours les moyens de faire un bilan, faute d’indicateurs pertinents ?... Se détermine-t-il en fonction de critères justifiés ? De plus, experts et les technocrates, dans le cadre de l’Europe notamment, s’arrogent actuellement une place sans partage. Les dossiers deviennent compliqués et l’élu se trouve dépossédé par une administration et des spécialistes qui prennent chaque jour plus d’importance.

La régulation de proximité

Créer des lieux, des moments de rencontre entre acteurs différents...
non pour se regarder mais pour agir ensemble sur un projet commun
Michel Hervé

La question de la régulation dans la société doit devenir une préoccupation principale pour les futurs citoyens de la jeune Europe. La complexité de l’organisation sociale exige, tout à la fois, une plus large répartition des responsabilités, et surtout des contre-pouvoirs efficaces. En fait, il s’agit d’introduire une régulation permanente des liens sociaux. Ces liens fait de consentements autant que de contraintes, d’intérêts partagés, de collaborations volontaires autant que de compétitions influent prioritairement sur l’équilibre de la société.
Mais comment introduire plus de régulation dans la vie de tous les jours ? Dans la société, il n’y a pas non plus de formules magiques. L’approche physionique fournit une grille d’analyse. En effet, il nous faut développer une méthodologie démocratique centrée sur des citoyens actifs et responsables. Au début du XXème siècle, les grands partis politiques modernes ont joué un rôle décisif dans la démocratisation de la société. Aujourd’hui, ils se trouvent en perte de vitesse à cause d’un fonctionnement classique basé sur une rétention d’informations au sommet d’une part et sur une absence de remontée de l’information d’autre part. Certes le système des partis reste dominant par leur place dans la désignation des candidats aux élections mais nombre d’insuffisances se font jour qui en limitent le rôle réel dans la société : leur décalage par rapport aux aspirations populaires, le poids croissant des experts et de la haute fonction publique (la technostructure), la personnalisation des élus, le renforcement de l’exécutif au dépend du législatif, leur carence d’idées en matière de projet de vie. L’accent est mis seulement sur le court terme, le superficiel et sur les petits mots médiatiques.
Face à ce déficit de compétences, on observe dans la société à la fois un désintérêt pour la “chose politique” et la recherche de structures politiques porteuses d’un sens collectif en dehors des partis politiques traditionnels. Ainsi les initiatives foisonnent : clubs de réflexion, mouvements associatifs (1), colloques, séminaires, congrès en tout genre... Mais ces tentatives souffrent de plusieurs faiblesses. D’abord on constate une absence de méthodes participatives. Tout est encore centré sur une logique de délivrance du savoir plus que d’une démarche d’échanges, de recherche de formes d’organisations neuves et de mobilisation. Le fonctionnement habituel de ces groupes reproduit les modèles hiérarchiques pyramidaux habituels. Ensuite, il n’y a pas ni évaluation, ni confrontations (ou fort peu), ni mémorisation des expériences. Les mêmes erreurs sont sans cesse répétées, les diverses associations s’ignorent entre elles, le grand public en ignore l’existence ou  se perd dans les dédales de cercles concurrents. Enfin, l’inexistence de liens forts avec le monde quotidien, du travail ou les partis politiques rend ces initiatives très artificielles.
Il est temps de rechercher des synergies entre les actions, à la fois dans le montage des projets et surtout dans la communication. Des questions cruciales comme les manipulations génétiques, le clonage, l’euthanasie, le nucléaire, les politiques des transports ou de la sécurité requièrent de larges débats et une information de haute qualité avant l’élaboration de toute opinion. Il apparaît souhaitable à l’image du vivant qu’un plus grand nombre d’associations de base se mettent en place et se fédèrent en réseaux. La qualité des rapports humains constitue un atout indiscutable pour développer la confiance et l’imagination, valeurs clefs pour l’inventivité et la recherche de projets.
Par ailleurs, des “guetteurs” d’informations (2)  sont à mettre en place aux points sensibles, de même que des indicateurs de qualité sont à définir. Ce qui implique sur ce dernier plan de se réinterroger sur le plan des valeurs à valoriser. Une éthique partagée, et non révélée, est à discuter.  Il s’agit également de repenser la place et l’autonomie du judiciaire, première forme de régulation sociale mise en place ou de mettre en place ou de renforcer d’autres structures de coordination (commission de la concurrence, commission des affaires boursières, médiateurs en tout genre, etc.).
De la même manière, la régulation sociale peut s’enrichir dans des formes de régulation “de proximité”. Mais encore lesquelles ? Peut-elle passer par la création de lieux de confrontation ? Peut être faut-il simplement commencer par diminuer la distance entre les individus. Quelques tentatives ont été entreprises pour faire se rencontrer des personnes qui ne se fréquentent jamais : vieux et jeunes, handicapés et valides, chomeurs-travailleurs-patrons, philosophes et pompiers, gens de culture et d’économie (3)... Les autres solutions testées sont encore balbutiantes : “catalyseurs sociaux”, éducation “allostérique”, réseaux d’échanges de savoirs ; autant de création de pouvoirs supplémentaires pour forcer les responsables en place à la négociation.
Actuellement, nous travaillons également par le détail les régulations propres à “rentabiliser” les confrontations dans les groupes, les associations et même dans... les structures familiales. Pour dépasser les discussions oiseuses et peu productives, nous mettons au point des exercices de simulation ou de gestion de conflits. Ces techniques produisent déjà un effet formateur indéniable. Il est vrai que les antagonismes sont encore plus mal supportés en société. Avec facilité, ils dégénèrent dans des affrontements dramatiques : émeutes, casse, échauffourées. Alors les autorités préfèrent les étouffer. Pourtant sans opposition, sans confrontation entre logiques différentes, nous l’avons vu, la vie et son évolution ne semblent pouvoir exister.

La régulation planétaire

Il faudra plusieurs décennies pour “organiser” des conditions équitables des échanges
entre grands ensembles géopolitiques dans une perspective de coopération
mondiale et non de guerre économique.
Jacques Robin

Il nous faut sûrement travailler sur l’importance de la diversité dans nos sociétés, autre grave source de malaises : la peur de l’étranger, de l’autre, la crainte des formes de vie nouvelle ou du changement. Il est vrai que les règles du jeu social sont peu explicites. Pour toutes sortes de raison, on n’ose les affronter. A l’école, sous couvert de laïcité, on n’essaie même pas les aborder. Pourtant sans hétérogénéité, sans apport de l’extérieur, le vivant est impossible. L’Union Soviétique, d’une certaine manière, n’est-elle pas morte à cause d’une trop grande volonté politique d’homogénéité. L’absence de contre-pouvoir n’a sûrement rien arrangé.
Inversement, l’hétérogène total apparaît incompatible. Quels éclairages attendre du vivant en la matière ? Les membranes biologiques peuvent-elles nous suggérer quelques options à essayer ? Il nous faudra encore nous interroger sur les décalages de plus en plus importants entre les élites et la base, sur les liens et les nouveaux réseaux entre les individus à tisser dans la société.
Enfin, face à l’apparition de catastrophes planétaires dues aux menaces sur l’environnement, à la concurrence sauvage, aux problèmes démographiques, aux risques de déstructuration sociale, aux atomisations nationalistes, il nous faut encore inventer des systèmes de régulation planétaire. En absence d’organisations légitimes pour effectuer les arbitrages, une régulation publique planétaire apparaît aujourd’hui plus qu’indispensable.
Les politiques pensent à un pouvoir judiciaire international, à une nouvelle organisation internationale ou à un conseil des “sages”, capable de faire respecter des règles communes, au nom de la survie de l’espèce ou de la paix. En nous inspirant des écosystèmes, pourquoi ne pas envisager de petites structures qui s’auto-organisent et s’entrerégulent, pour constituer un maillage d’initiatives interactives innervant le globe ? Déjà de nombreuses ONG jouent ce rôle ? Peut-être est-ce à ce niveau qu’il s’agit d’introduire de la régulation ? A court terme, elles peuvent avoir plus de poids que les organisations internationales officielles, plus lourdes ou paralysées par leur dimension.

Et qu’en est-il du savoir, lui-même ? Avec le développement des autoroutes de l’information, la question ne manquera pas d’émerger à très court terme. Comme PR, l’information, le savoir ne doivent-ils pas aussi se réguler ? Qui n'a pas déjà remarqué qu'à chaque nouvelle “découverte” scientifique, nous nous laissons aller à un optimisme plutôt béat ? Nous escomptons immédiatement les bienfaits qui doivent découler des technologies mises au point dans tel ou tel domaine. Or on ne compte plus les produits de synthèse, les inventions ou les nouvelles machines mis sur le marché ces dernières décennies qui posent problème. Que l'on songe par exemple au DDT : peu de produits ont été aussi utiles et performants... jusqu'au jour ou l'on s'est rendu compte que cet insecticide détruisait nombre d’équilibre dans les écosystèmes, entraînant des conséquences plus dramatiques que la situation initiale qu’il prétendait résoudre. A travers les diverses chaînes alimentaires, on finit même par le trouver dans l'organisme humain, provoquant de terribles dommages.
On connait aujourd’hui les conséquences des nitrates provenant de l’emploi massif d’engrais sur l’eau ou encore celles des CFC, ces fameux chloro-fluoro carbone, sur la couche d'ozone. Il serait ainsi possible d'évoquer des centaines, voire des milliers de produits dont les effets se révèlent à l’usage négatifs. Et nous ne parlerons pas ici ni de l’emploi des antibiotiques en médecine, ni des effets de la robotique ou de la télématique sur l’emploi.
Faut-il en conclure que la production de tout nouveau savoir apporte plus de désavantages que d'avantages ? Nous ne le croyons pas! Est-ce à dire qu'elle doit nous inciter au pessimisme ? Pas davantage! A condition de mettre en place là aussi des garde-fous… Tout en acceptant ces nouvelles inventions susceptibles de rendre d'éminents services, il nous faut immédiatement penser les interactions de ces produits ou des nouvelles machines avec le développement de notre société. Quels seront leurs apports ? Quelles conséquences, y compris sur l’environnement, la santé et l’emploi ? Seront-ils un “plus” ? Si oui à quelles conditions ?
En d'autres termes, il faut aujourd’hui produire et accumuler en parallèle un “savoir sue le savoir”, c’est à dire de l'information régulatrice sur toutes les nouveautés, inventions et nouvelles informations que nous diffusons pour en maîtriser leurs usages et minimiser leurs dangers.
Malheureusement, il faut bien le dire, le monde industriel et économique ne s’intéresse encore qu’aux savoirs directement fonctionnels. Ceux-ci tout en coûtant de l'argent, en rapporte beaucoup. Quant aux politiques, ils n’ont pas encore été alertés. Pourtant sur un plan social, c’est une hérésie de penser seulement ainsi : les coûts et les conséquences sociales d'une production de savoirs non (ou mal) régulés se distribuent à terme sur l'ensemble de la société et sont finalement assumés par chacun de nous à un moment ou à un autre. En définitive, ce n'est pas la régulation qui est chère, mais son absence. Si l'on prenait l'habitude de s'en préoccuper, si on incitait les scientifiques ou les ingénieurs sur cette voie, on aurait moins de problèmes à résoudre ultérieurement dans la précipitation. On ferait même d'une pierre deux coups : non seulement on protégerait notre environnement, notre société ou nous-mêmes par avance, mais encore on créerait de nouveaux emplois pour élaborer, mettre en place et faire fonctionner les régulations nécessaires.

Un nouveau paradigme

Un nouveau paradigme pour les années 2000 ?
Substituer au “toujours plus”, un toujours “mieux”.
Professeur E. Pistémo

A nouveau, nous voilà revenus en plein pays des paradoxes. Les idées qui permettent la transformation du monde, perturbent en retour son développement. Il en est de même avec les idées qui ont conduit à l’étape actuelle de notre société. L’analytique, l’isolable, le monocausal, le quantifiable, le toujours “plus”, les concepts qui constituent la logique évidente de notre culture et qui l’ont fait progresser ne traitent plus le contexte qu’ils ont introduits. Encore un phénomène d’émergence, il ne faut pas nous en inquiéter... Les meilleures méthodes, du moins celles considérées comme telles, ont seulement atteint leurs limites. Pourquoi le vivre mal ? Pourquoi nous rattacher désespérément à elles ? Adaptons nos idées à cette nouvelle réalité, nous ne pouvons en changer, cette évolution est partie intégrante de notre histoire. Inventons seulement une autre façon d’appréhender et de réguler le monde. C’est peut être d’abord cela la grande “leçon” du poisson rouge ! Tout est question d’état d’esprit à créer. Face au doute et à l’angoisse qui nous guettent, fabriquons de nouveaux repères et évaluons leurs potentialités.
Par notre culture, nous avions appris à nous sentir bien quand les “choses” étaient simples, même s’il fallait quelquefois nous raconter des histoires : dieu, l’astrologie, la numérologie, que sais-je encore ? Aujourd’hui, les “choses” paraissent sans conteste plus difficiles. Peut être sommes-nous devenus tout simplement plus réalistes ? Nos sociétés ont besoin de confiance. Des systèmes de régulation performants, placés en priorité sur les “points noirs” peuvent la lui redonner. En tout cas, c’est le dernière hypothèse que nous formulerons ici... A vous de jouer, maintenant...

Le 29 septembre 1991, je remontais à Rocca-Sparviera pour la traditionnelle fête de la Saint Michel. Mais je l’attaquais par un autre chemin, cette fois. Je partais du Défice, cela signifie le moulin en niçois.

1. Cette optique physionique, en tout cas, rencontre quelques intérêts dans de nouveaux groupes “pilotes”. De plus en plus nombreux, ils se nomment sous les termes génériques de “citoyenneté active” ou de “démocratie participative”, etc.

2. Les journaux jouent encore insuffisamment cette fonction.

3. Il nous faut prendre conscience de la place de la culture dans la société, de l’inertie et des ressorts qu’elle représente. En tout cas, il nous faut éviter à tout prix les réformes à la hussarde, imposées d’en haut et sans concertation : aucune organisation ne le supporte.