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Portraits
Vendredi 29 février 2008

André Giordan : cancre reconverti

Touche-à-tout passionné, André Giordan est un universitaire connu et reconnu, tant pour ses travaux purement scientifiques que pour ses études sur l’appropriation du savoir. Curieux paradoxe : c’est un zéro en dictée qui a tout déclenché.

André Giordan en cinq dates
1962 : réussit le concours d’entrée à l’Ecole Normale d’instituteurs
1971 : est nommé professeur au collège de Villeneuve-la-Garenne
1980 : crée le laboratoire de didactique et épistémologie des sciences à Genève
1987 : publie Les origines du savoir
1996 : première collaboration avec le Musée d’Histoire naturelle du Luxembourg


« Dans la famille, nous étions cheminots depuis trois générations. J'ai donc passé le concours d'entrée aux Chemins de fer. Mais j'ai eu zéro en orthographe. » Recalé pour quelques participes mal accordés, André Giordan change complètement de direction. L’année suivante, en effet, il est admis à l’Ecole normale d’instituteurs de Nice. Nous sommes en 1962. « Jusqu’alors, j’avais toujours été un cancre et là, pour une fois, je réussissais un concours. Cela m’a également permis de sortir de mon milieu très populaire, et de rencontrer des gens qui avaient un peu de savoir. Pour moi, c’était un autre monde. »

Le déclic
Brutalement immergé dans un « milieu culturellement porteur », qui le pousse à travailler, André Giordan passe son baccalauréat, effectue des stages en tant qu’instituteur dans plusieurs écoles de Nice et obtient une bourse pour devenir PEGC (1). Il prend alors un chemin qu’il ne quittera plus, celui de la fac. Il y décroche une licence de biologie avant d’entamer un troisième cycle de physiologie et d’obtenir brillamment son Capes. L’ancien cancre s’est métamorphosé, et il en rit encore : « Enfant, je n’avais pas compris le rituel social de l’école. On me demandait de commenter des phrases de Victor Hugo. Mais, pour moi, Victor Hugo était un génie et je n’avais rien à commenter ! Et puis, à l’Université, j’étais débarrassé du français, je n’avais plus qu’à faire des sciences. Comme j’étais volontaire et travailleur, il n’y a pas eu de problème. » Une fois agrégé, André Giordan est nommé professeur dans un collège de banlieue, à Villeneuve-la-Garenne,en 1971, puis au lycée Carnot à Paris, en 1972. Il y monte un club de sciences et finit par rencontrer un inspecteur pragmatique. « Il m’a dit que je ne respectais pas le programme, mais que ma façon de travailler n’était pas inintéressante. Il m’a donc mis en contact avec l’INRP, l’Institut national de recherche pédagogique ».Tout en continuant d’enseigner, il y passe deux ans comme chargé de recherches en pédagogies des sciences.

Le savoir et son acquisition
Entre temps, ce boulimique de savoir a également suivi des formations en philosophie et en psychologie. Il va alors s’intéresser de plus en plus à l’acquisition des connaissances. « J’ai simplement transposé mon travail de scientifique à l’éducation. J’ai abordé les questions éducatives de la même façon que les problèmes scientifiques, en effectuant des recherches, en essayant de comprendre où étaient les élèves, sur quoi ils butaient, quelles étaient leurs difficultés… A l’époque, la didactique des sciences n’existait pas et la démarche était totalement nouvelle. » A tel point que ses échos se répercutent jusqu’à l’étranger. En 1980, André Giordan est contacté par l’Université de Genève, où il crée le laboratoire de didactique et épistémologie des sciences, qu’il dirige encore aujourd’hui. Depuis, il a rédigé près de 300 articles et écrit une trentaine de livres. Certains, comme Les origines du savoir ou Comme un poisson rouge dans l’homme (2), ont révolutionné les idées sur la façon d’apprendre. « J’ai notamment montré qu’apprendre est paradoxal : il faut construire et déconstruire simultanément, faire avec les conceptions que l’on maîtrise et en même temps s’y opposer, s’appuyer dessus et en même temps les lâcher… En outre, apprendre ne peut se résumer à un seul modèle. Il faut jongler avec plusieurs systèmes de pensée. »

Savoir et faire savoir
Ce savoir auquel il a pu accéder, André Giordan a toujours eu envie de le partager avec le plus grand nombre. Dans cet esprit, il continue d’intervenir régulièrement auprès de jeunes de banlieue et vient de publier Apprendre à apprendre et Coach collège (3). « Dans l’apprentissage, il existe en effet malgré tout une partie technique que l’école ne fournit pas. D’une manière générale, elle ne donne d’ailleurs pas les outils pour aujourd’hui : les savoirs importants n’y sont pas dispensés et elle détruit le goût d’apprendre qu’ont spontanément les enfants. » Dans un autre registre, il travaille avec des musées, « pour les rendres plus lisibles, plus compréhensibles et plus attractifs. » Il a ainsi collaboré à plusieurs reprises avec la Cité de l'Enfance, à la Villette, ou avec le Musée des sciences du Luxembourg. Actuellement, il apporte son expérience au Parc européen de Paléontologie, près de Vichy. « Ma démarche est toujours identique : faciliter l'apprentissage. Pour moi, on apprend en permanence et pas uniquement à l'école. » Parfois André Giordan songe aussi à ce que serait devenue sa vie s’il n’avait pas été si nul en dictée. « Comme je viens d’un milieu très populaire, ma mère m’a toujours dit que j’aurais été plus heureux cheminot. En tout cas, je me serais posé moins de questions ! »

Patrick Lallemant


1) Professeur d'enseignement général de collège.
2) "Les origines du savoir", A. Giordan et G. De Vecchi, Delachaux, Neuchatel, 1987
"Comme un poisson rouge dans l'homme"
, A. Giordan, Payot, 1995
3) "Coach Collège", J. Saltet, A. Giordan, Play bac, 2006
"Apprendre à apprendre", A. Giordan et J. Saltet, Librio, 2007